Emboîtement

Lorsque je me retourne il y a un hublot et une boîte posée sur une table à côté du téléphone où j’attends que l’homme de la C301 me parle de la baleine qu’il a vue avant-hier et qui s’enroulait dans sa couette de sel et d’eau, a-t-il dit, d’une manière qui m’a semblé évidente sur le moment et qui m’a semblé beaucoup plus étrange par la suite, et je ne sais plus si c’est ce que je vois par le hublot qui est un souvenir ou si c’est ce que j’entends dans la voix de cet homme qui est un rêve ou si c’est un troisième état de la peur et un avant-dernier état de l’anxiété mais, lui ai-je dit, entre la lampe et le livre de Paul Gadenne que j’ai emporté avec moi en ignorant que je serais condamné à le relire autant de fois que durera cet état livide de l’existence dont je refuse de croire qu’il soit autre chose qu’une version alternative de la réalité, à l’intérieur de cette boîte que j’ai achetée à Marseille avant notre embarquement en même temps que le livre de Paul Gadenne dans lequel Odile voudrait être une baleine parce qu’elle voudrait cesser de souffrir, à l’intérieur de cette boîte en fer, lui ai-je dit, il y a une boîte en bronze et à l’intérieur de cette boîte en bronze il y a une boîte en or qui pèse trois fois le poids de la boîte en bronze et, bien que je sache qu’une telle chose est impossible et que mon esprit rejette brutalement cette hypothèse, à l’intérieur de cette troisième boîte qui est neuf fois plus lourde que la première, et par conséquent neuf fois plus inquiétante, si vous suivez mon raisonnement, il y a la vingt-septième preuve que je suis mort et la photographie d’un homme qui regarde au loin, par le hublot verrouillé de sa cabine, la forme insupportable d’une baleine.

Julien de Kerviler

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